Cela fait plusieurs heures que nous roulons dans le Serengeti sous un soleil sec et brulant. Pleine de poussière collée par ma sueur, j’ai besoin d’une pause. Par chance nous tombons sur des sanitaires dédiés aux touristes fatigués. Ils sont étouffants. Mais la simple idée de pouvoir me passer le visage sous l’eau me rafraichit déjà. De l’air ! Je laisse la porte ouverte derrière moi.
Je me dirige d’abord vers les toilettes lorsque j’entends un bruit derrière moi. Je me retourne. Se tient postée debout sur le lavabo une babouine. Etonnée, je la vois tourner le robinet pour boire un filet d’eau tiède. C’est alors qu’elle relève la tête pour me regarder. Intensément.
Je me fige. Pourvu que cet instant d’échange de regards dure ! Je suis curieuse : elle a bu et pourtant ne fait pas mine de partir.
Elle me regarde, sur le qui-vive, prête à quitter cet endroit occupé par ce curieux singe sans poils. Ses mamelons pendants et irrités laissent penser qu’un petit l’attend quelque part.
Je ne veux pas qu’elle se sente acculée. Mais je me trouve entre elle et la sortie alors je me décale doucement, elle ne bouge pas.
Je ne veux pas qu’elle se sente agressée, mais l’Homme est son prédateur alors je me fais plus petite. Elle me regarde, droit dans les yeux quelques secondes puis regarde ailleurs, et recommence cet aller-retour du regard. Je vois que fixer mon regard dans ses yeux l’incommode, alors je fais pareil. Je la regarde, puis regarde le mur. Je suis absorbée par cette rencontre. Je suis toute entière devenue babouine. Nous ne sommes qu’à 5 ou 6 mètres l’une de l’autre.
Elle peut partir comme elle veut, la voie est libre. Je ne sens d’elle ni peur ni agressivité, mais de la curiosité.
Les rangers ont lourdement insisté sur les dangers d’attaque des babouins, qui ne craignent pas l’homme, pourtant je m’approche.
Tout doucement, jusqu’à me retrouver à portée de main. Je joins mes mains sous le robinet d’eau et, emplies d’eau, je lui tends cette claire offrande… un geste spontané, instinctif.
Un geste d’amitié.
Alors, elle s’approche, courbe sa tête et m’offre sa nuque pour laper le misérable fond d’eau stagnante dans le creux de mes mains. Comme si elle partageait mon intention d’amitié.
Ce matin-là, une babouine prit le risque de m’offrir sa fragilité, pour répondre à ma soif de rencontre, et m’offrit ce merveilleux cadeau d’un échange de cœur à cœur, pacifié, tout en douceur.
Cette maman babouin, dont la survie du bébé dépendait, répondit à mon appel, et ce choix n’a été dicté ni par l’instinct ni programmé par des gènes, mais à l’évidence motivé par le désir de rencontre et déchange.
En m’offrant sa vulnérabilité, elle m’a offert le cadeau d’une confiance née d’une magique et improbable rencontre.
Son geste témoigne de ce qu’elle a perçu mon intention, amicale. Cet échange révèle notre aptitude à percevoir de façon encore mystérieuse notre environnement vivant. Cette Huma-Anima est précieuse, car elle nous permet un contact extra-ordinaire.