A priori et anthropomorphismes

Installée pour déjeuner sur une terrasse parisienne déjà prise d’assaut, je goûte le pépiement des oiseaux. Mais ce dernier est rapidement couvert par la conversation téléphonique de ma voisine fort (pré)occupée à raconter son quotidien. Elle s’est installée à côté de moi, accompagnée de sa mère, et de son bébé légèrement endormi dans sa poussette. Décidée de profiter de chaque seconde ensoleillée, je ne me laisse pas envahir par cette conversation bruyante à laquelle toute la terrasse assiste : rien n’aura raison de ce bien être ! Monopolisée par sa conversation, vissée sur son téléphone, la jeune maman continue ses allées et venues, nuque courbée, yeux sur le bitume.

Soudain, un homme, un cadre parisien cinquantenaire venu lui aussi profiter de ce moment chaleureux pour son déjeuner, s’approche et tente de capter son attention non sans difficulté. Ah ! en voici un dont la patience est à bout !

L’homme, lui dit alors d’un air quelque peu inquiet : « madame, votre bébé est en plein soleil ! il pleure et fait des grimaces, vous devrez peut-être tourner la poussette ? »

J’ai été surprise par sa démarche soucieuse de la santé et du bien être d’un bébé, puis … surprise de ma surprise : pourquoi pensais-je qu’une telle attention ne pouvait spontanément émaner que d’une femme ?

Victime d’un a priori je ne pus m’empêcher de penser à l’histoire de Mata, un gorille à dos argenté de l’ouest africain. Les primatologues spécialistes des gorilles l’affirment : seule la mère d’un bébé gorille le porte sur son dos. Et pourtant…. Des chercheurs ont pu observer un comportement de la part de Mata pour eux inédit chez les gorilles dominants: une des femelles de son harem fit une chute et resta inconsciente, son bébé se retrouvant sans protection. C’est sous l’œil médusé des chercheurs que Mata s’empara prestement du bébé pour le mettre sur son dos sous sa protection, et ce, jusqu’à ce que sa mère soit en mesure de récupérer la garde de son bébé.

S’agit-il d’un comportement inédit comme le pensent les chercheurs ? Ou bien nous trouvons là en présence d’un a priori, simplement parce que nous ne sommes pas là pour observer ce moment où « l’inédit » survient ?

Ayant pu observer des gorilles des montagnes, j’ai pu constater que ceux-ci, y compris les dos argentés, font preuve d’empathie, d’attention et d’affection par des gestes délicats.

Et si nous avions fait preuve d’anthropomorphisme jusqu’alors…. et que…. le partage des taches familiales nous amène in fine à observer l’autre autrement ?