Prendre soin

J’ai la grande chance d’être partie à la rencontre des gorilles de montagne au cœur de Bwindi Impenetrable Forest. Cette forêt de montagne se trouve en Ouganda le long de la frontière de la République du Congo, en bordure de la Vallée du Rift et proche du parc national des Virunga. Bref, un endroit magique, composé de jungle de montagne assez dense. La forêt mérite bien son nom, car dès que l’on sort de ses bordures, la progressions est laborieuse et l’avancée en ligne droite impossible.

Au bout de 5 heures de marche dans la boue parfois très profonde, passant des obstacles d’amas de branches plus hauts que moi et instables, mes efforts sont récompensés.Quelle récompense! Je me retrouve devant un groupe de gorilles. C’est un rêve d’enfance qui se réalise: pouvoir sentir cette proximité, approcher cet animal majestueux sans le mettre en danger (nos maladies asymptomatiques peuvent les décimer) ni susciter sa crainte ou son agressivité.

Notre arrivée ne les interrompt nullement. La plupart est occupée à dépouiller des branches de leurs feuilles pour s’en nourrir (jusqu’à 18 kilos par jour), car, malgré leurs dents impressionnantes et pointues, les gorilles sont herbivores. Tous vaquent à leurs occupations habituelles, sauf un. Le mâle dominant. Celui que l’on appelle le dos argenté, lui, ne nous quitte pas des yeux. Non pas pour nous attaquer, mais parce qu’il évalue notre niveau de dangerosité pour son groupe. Car c’est lui qui se charge de la sécurité de sa tribu, lui évitant ainsi le stress du guet et lui permettant de se concentrer sur l’essentiel: manger, développer leur vie sociale, rester unis, éduquer les petits.

Il ne nous quitte pas du regard, évaluant chacun de nos gestes, et lorsque je me saisis d’une branche qu’il avait décidée comme lui étant réservée, il me charge. Il s’arrête à quelques centimètres, c’est un message, compréhensible par n’importe quelle espèces animale. Puis, rassuré quant à l’exclusivité de son garde manger, il passe devant moi comme pour m’assurer que je ne crains rien, tout en me faisant sentir sa puissance. D’ailleurs, je sens frémir le sol sur son passage.

Je ne peux m’empêcher de me dire que les animaux humains gagneraient à s’inspirer du comportement du dos argenté. Lorsque l’on a la charge d’un groupe, familial, managérial ou situationnel, celui ou celle qui assure cette responsabilité ne devrait avoir en tête qu’une chose: veiller à l’intégrité de sa tribu et en assurer la cohésion. . Au lieu, trop souvent, de penser à son statut social.